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Pastel en hoja au petit-déjeûner pour ma part ! |
C’était il y a une dizaine de jours, il a plu à verse toute la journée, des trombes d’eau comme on connaît parfois ici en République Dominicaine. En quelques heures, le jardin peut être quasiment inondé. Avec la chaleur ambiante et le soleil qui brûle de plus en plus, ce genre de journée donne envie de rester à la maison à cuisiner.
Le pastel en hoja est une spécialité dominicaine que l’on mange pendant les fêtes de fin d’année. Si vous connaissez les tamales d’amérique du sud, vous retrouverez à peu près le même principe, version bachata !
Cuisiner un jour de pluie
Ça tombe bien, le Chef annonçait depuis quelques jours son envie de préparer des pasteles en hoja, -littéralement, des « gâteaux en feuille »- ces petites papillotes enveloppées dans une feuille de bananier que l’on ouvre
comme un paquet cadeau pour y savourer une pâte faite de purée de banane plantain et banane douce, fourrée à la viande.
On retrouve des spécialités similaires en Amérique Latine sous le nom de tamales ou humitas, qui eux ne sont pas préparés dans des feuilles de bananier mais de maïs. Pour les hispanophones, vous trouverez ici l’histoire passionnante de cette spécialité d’Amérique Latine !
Ici en République Dominicaine, on les mange traditionnellement à Noël, mais on peut les trouver toute l’année dans certains comedores de la capitale ou proposés par des vendeurs de rue.
Les comedoressont les petits restaurants locaux, souvent familiaux que l’on trouve dans le moindre village et qui proposent pour moins de 150 pesos (3 €) un repas copieux, enfin, surtout en garniture… car le pays est pauvre et les rations de protéines sont souvent servies maigrement… accompagnées d’une plâtrée de riz ou de tostones, des rondelles de banane frites et écrasées pour devenir de grosses chips.
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Drapeau dominicain |
Vous choisissez parmi les quelques plats préparés présentés dans des vitrines ; en général du poulet ou du boeuf en ragoût, du riz, des guandules (haricots rouges en sauce tomate), ces trois réunis dans une assiette étant surnommés « la bandera dominicana » (le drapeau dominicain) qui est bleu, blanc et rouge.
On y trouve souvent aussi du cochon, parfois du poisson, à accompagner avec du yucca (manioc bouilli, très bon!), des pomme de terre ou des bananes plantain bouillies.
Comment prépare-t-on les pasteles en hoja ?
Mais revenons-en à notre recette. Les bananiers du jardin nous présentaient depuis quelques jours deux superbes régimes de plantain et de bananes « douces« . Ils étaient encore verts, mais c’est ainsi qu’on les consomme (cuites) le plus souvent ici, car les bananes mûrissent généralement toutes d’un coup, et vu la taille des régimes, autant s’y prendre avec une marge !
Il n’y avait plus qu’à les cueillir, et c’est en milieu d’après-midi que la préparation à commencé.
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Le Chef à l’oeuvre avec sa machette |
La veille vers 20h nous avions mis le feu au tas de feuillages de bananiers qui traînait dans le jardin. Les flammes et la fumée avaient fané les plus grandes feuilles de 3 bananiers qui se trouvaient à proximité. Ça tombait bien : c’est ainsi que l’on prépare les feuilles qui servent à emballer les petits paquets des « pasteles en hoja« , on dit qu’on les « marea » (on les fâne). Ainsi, les feuilles sont plus souples à plier et dégagent une bonne odeur qui pourrait faire penser à la feuille de tabac que l’on utilise pour fabriquer des cigares.
J’en profite pour préciser que les cigares dominicains n’ont rien à envier aux cubains. Vous trouverez ici d’excellentes marques à très bon prix provenant de la région du Cibao dont la ville principale est Santiago de Los Caballeros.
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A G bananes plantain, et à D bananes « douces » |
15h : le Chef s’arme de sa machette et tombe le premier bananier du jardin. Il est en effet inutile de cueillir le régime en laissant l’arbre intact ; il n’en produira pas d’autre et en le coupant, on donne de la force à un nouveau plant qui dans 2 à 3 semaines mesurera déjà probablement près de 50cm !
Le régime est monstrueux, il pèse une bonne douzaine de kilos etcomporte une soixantaine de bananes encore vertes. Quelques minutes plus tard, c’est un autre bananier qui tombe, cette fois-ci avec un régime d’une vingtaine de plantains.
15h30 : la demi-douzaine de
feuilles de bananier est découpée en rectangles d’une vingtaine de centimètres. Ils serviront à préparer les
papillotes qui seront ensuite cuites à l’étouffée.
Secret de la cuisine dominicaine !
16h00 : le « sazón« , est mixé. Il s’agit de l’assaisonnement qui sera mélangé à la purée de plantain-bananes vertes et lui donnera toute sa saveur. Mélange d’oignons, ail, poivron rouge, céleri, persil, tomates, origan, poivre, sel, et la « bija » (roucou en français) cueillie la veille dans le jardin d’un ami.
Les graines de bija donnent un puissant colorant rouge et une légère saveur amère. On les fait revenir dans de l’huile puis on dilue avec de l’eau pour en extraire le colorant.
17h :
La farce est en train de mijoter sur le feu. Un kilo de viande hachée, assaisonnée d’ail, oignon, origan, sel, et
piment oiseau récolté dans le jardin, car on aime bien quand ça pique !
17h30 : Le Chef épluche et découpe en rondelles les 20 bananes et les 6 plantains. Les fruits étant tous encore verts, l’épluchage est laborieux et très salissant. La sève de bananier colle terriblement et fait des tâches noires, les épluchures vous laissent les mains collantes, beurk !
On laisse tremper les rondelles de bananes dans de l’eau pour ne pas qu’elles noircissent en attendant de finir la préparation.
18h15 : Il fait presque nuit, le ciel qui s’était assombri était devenu de plus en plus menaçant. Il pleut de nouveau à flots et nous enchaînons les coupures d’électricité depuis 15h30 cet après-midi… effet de la tempête ou vétusté des installations de Luz y Fuerza, la compagnie privée qui alimente la région en électricité ?…cette fois-ci nous devons attendre 1 bonne demi-heure à la bougie pour pouvoir poursuivre la préparation… et moi je vois la batterie de mon ordinateur baisser, d’ici une demi-heure je ne pourrais plus travailler sur les photos que je dois livrer demain matin…!
18h45 : En attendant que l’électricité revienne, le Chef, se rappelant comme il faisait à la maison lorsqu’il aidait son oncle à préparer les pasteles de hoja, s’attelle à effiler un grand sac de riz (ceux pouvant contenir une vingtaine de kilos) qu’il est expressément allé acheter au
colmado (c’est ainsi qu’on appelle les épiceries locales). Par chance, le «
vengo ahora » (je reviens de suite) s’est révélé juste.
Si vous avez lu mon autre article vous savez de quoi je parle.
Tressé en sorte de rafia,
les fils devaient servir à attacher les petits paquets de « pasteles », mais la modernité a eu raison de lui : les sacs sont maintenant solidifiés grâce à une fine couche de vernis plastifié ; impossible de détresser les fils sans tout arracher. Heureusement je suis là pour sauver la situation, et je sors ma petite pelote de fil en coton qui fera l’affaire.
Ouf !
20h15 : Le courant est revenu de façon stable, on mixe les bananes avec l’assaisonnement pour les réduire en purée. Le mixer s’épuise et tourne au ralenti, est-ce qu’on arrivera au bout de la recette ?
20h45 : A l’aide d’une passoire à thé -on fait avec ce qu’on à-, on passe le mélange de purée assaisonnée pour en enlever le jus et l’épaissir, quelle galère ! J’ai même imaginé utiliser des chaussettes comme on faisait ici avant pour le café, mais avec cette chaleur, ici qui à ça dans sa garde-robe ?!
21h45 : On y est presque !
Le Chef prépare soigneusement les petits « pasteles » sur les feuilles de bananier pré-découpées. Il met un petit tas de la préparation aux deux bananes, fait un petit creux -comme dans la purée, vous vous souvenez ?- et y dépose deux cuillerées de farce, replie les feuilles de bananier pour former un petit paquet cadeau qu’il ficelle, comme pour Noël !
Les petits paquet s’amoncellent sur le plan de travail de la cuisine… je les compte, il y en a 20 : comptez sur moi pour manger ma part !
22h30 : L’eau bout dans les deux casseroles, on y dépose soigneusement les papillotes qui vont y cuire sous le couvercle pendant 20 bonnes minutes.
23h00 : La cuisine sent délicieusement bon la feuille de banane cuite à l’étoufée… ce même parfum que dégagent les « Nuò mǐ jī » ou « Lo mai gai », ce met cantonnais du même principe constitué de riz gluant fourré de viande de porc ou de poulet, le tout enveloppé et cuit dans une feuille de lotus. Finalement, on retrouve des similitudes aux 4 coins de la terre, chacun avec ses produits locaux. Un régal de saveurs qui rappelle un peu le tabac de cigare. J’adore !!!
Et maintenant, dégustez !
Nous nous asseyons à table sans plus trop d’appétit pour déguster nos « pasteles en hoja » dont on découpe les ficelles et que l’on présente déballés sur l’assiette. Découpés en petites portions recouverts d’un filet de ketchup et de mayonnaise comme le veut la coutume dominicaine… Slurrrp, miaammm, on se régale avec ce délicieux repas préparé avec les ingrédients du jardin.
Et comme dirait Joël Robuchon, « bon appétit bien sûr !!! ».