Pont Bir Hakeim, Paris |
A l’étranger, le mot « Paris » éclairait aussitôt les yeux d’étincelles et laissait sur les visages la marque d’un fantasme romantique. Je me suis toujours obligée à lever les yeux vers la grande dame de fer pour l’honorer, -notre Tour Eiffel-. Je regardais avec colère les gens qui gardaient les yeux rivés dans leurs bouquins -si si, à l’époque les gens lisaient des livres en papier- lorsque, dans la ligne 6 du métro qui traversait la Seine sur ce magnifique pont Bir Hakeim, nous avions quelques instants pour la saluer avant de littéralement pénétrer le 16ème arrondissement entre les deux cuisses haussmanniennes de cet immeuble dont j’ai toujours rêvé d’avoir une chambre dans la petite coupole du dernier étage. Je m’étais toujours dit que le jour où je cesserai de lever les yeux vers Elle, il serait temps de laisser la place à d’autres. Et je l’ai fait.
Ma cabane au fond des bois |
Je profite donc ici jour après jour de la Nature qui m’entoure et auprès de laquelle je vis en contact direct, puisque ma nouvelle petite maison n’a ni vitres, ni porte (juste une grille aux espaces laissant entrer un gros chat qui vient la nuit fouiller dans ma poubelle). Adorable « cabane » sur pilotis entourée de bananiers, de lierres et de toutes les bestioles qui peuvent batifoler dans le bout de nature vierge qui nous entoure. Elle semble avoir été construite autour des persiennes de bois que son propriétaire aura récolté de-ci de-là. A l’étage, la chambre en mezzanine donne directement sur l’extérieur, et seuls les rideaux que je ferme le soir offrent une sorte de privacité visuelle. On entend les grillons et les couica des grenouilles, comme si on était sous une tente. Nos amis les insectes entrent et sortent à leur guise, inutile de les pourchasser, leur frère ou cousin entrera par un autre accès dès que vous aurez le dos tourné.
Pourtant, l’approche des fêtes est un moment qui peut s’avérer délicat pour un expatrié qui vit a 10 000 kilomètres de sa famille, de ses amis… que le temps sépare au fil des jours et du tourbillon de nos vies. Les attentats du 13 novembre n’ont fait que renforcer ce sentiment d’éloignement, dans l’espace comme dans le temps. Sentiment d’impuissance mêlé à la solidarité, tout était si loin et si proche à la fois ; les images du coin d’une rue, d’un bar, d’un restaurant que l’on a fréquenté, des gens qui pourraient être nous, qui auraient pu être mes meilleurs amis, ma famille.
La salle d’attente de l’hôpital |
Un mois avant, j’ai attrapé une sorte de torticolis qui a pratiquement paralysé tout mon bras gauche et qui s’est diffusé de la nuque jusqu’au bout des doigts. Deux mois après j’ai encore des crampes au bras droit, la douleur s’est baladée d’un côté à l’autre. Mes proches se souciant de mon état de santé, j’avais décidé de partir faire des examens à Saint Domingue. Après plus de 8 heures d’attente à l’hôpital à courir d’un service à l’autre, faire la queue, faire tamponner les prises en charge par mon assurance, j’ai fini par réussi à faire l’IRM que le médecin venait de me prescrire, et décidai de profiter des deux jours suivants pour refaire une immersion dans le « consumérisme ».
C’est ainsi que le samedi je décidai d’aller chez… Kikeaaaa ! En effet, la marque suédoise s’est installée il y a quelques années en République Dominicaine, et ô bonheur, le magasin se trouve
en centre ville, pas besoin de prendre l’autoroute comme chez nous pour aller se prendre une dose de Kalvsjön, de Knäckerbröd, de Ståla, de Bjursta ou de Lampa.
Magie de Noël chez Kikéa |
A peine les porte automatiques passées, j’ai compris que ces suédois étaient forts. Très forts. Être dans n’importe quel endroit du monde, qu’il fasse 45° C ou -22° C, entrer dans ce temple du meuble-et-de-la-déco-pas-chers-pour-jeune-couple-qui s’installe et ne plus avoir aucun repère ni de temps ni de lieu à ce point est une prouesse que j’ai soudainement admirée. Est-ce que je m’étais télé-transportée à Göteborg , à Vélizy, à Los Angeles ou à Pékin… ? Aucune différence, j’étais « chez Ikéa » comme j’aurai pu être « chez Macdo »… en mieux. Même décor, mêmes dispositions, mêmes articles, same same, not different. En montant l’escalator, ce typique parfum de bougie aux épices et écorces d’orange m’envahit. La magie de noël !!! Une jeune dominicaine était en train de terminer de décorer un magnifique sapin dans une petit salon recrée de toutes pièces, je me suis arrêtée net. Elle m’a vue, je devais avoir l’air d’une ahurie, ça n’a pas semblé la choquer… si ça se trouve, elle voit cela tous les jours. Je dois vous le confesser, j’étais à deux doigts de verser une larme. Ce sentiment était fou et puissant, c’était comme un rêve éveillé. Je suis restée figée près d’une minute et la 1ère idée qui m’est venue à l’esprit était de me prendre en photo devant ce sapin, pour faire croire à ma famille que j’étais en France. Je n’aurai pu prendre cette photo à aucun autre endroit de la République Dominicaine, c’était comique et triste à la fois, mais pendant un instant je me sentais européenne, « globale », belle et fière victime du consumérisme. J’ai passé, deux… trois (?) heures dans le magasin, parcourant chaque allée en suivant bien le circuit prédéfini et étudié au centimètre près par les marketeurs.
Mon lit avec housse et couette nordique |
Touchant, humant, revoyant ces meubles chez moi, chez vous, me projetant dans une cuisine parisienne, m’amusant avec les tiroirs à amortisseurs, comme une enfant dans une maison-dinette grandeur nature, bercée par la douce musique disneylandienne, rêvant d’un chez moi aux rideaux et aux couverts suédois, prise au piège du marketing. Car oui, je suis la première à prôner l’intégration… l’intégration oui, mais avec un bel éclairage et pas des ampoules blanches à nu façon hôpital, oui à la maisonnette au milieu des bananiers, des cocotiers et des flamboyants,… mais avec mon saladier design, mon égouttoir à couverts en inox Orning à 2,99 €, mes photophores et ma housse de couette à carreaux rouges brique et orange (oui, j’ai bien acheté la couette la plus chaude du magasin parce que l’hiver arrivait et qu’il ne faisait plus que… 24° C la nuit). Honte à moi c’est là que j’ai réalisé à quel point je suis conditionnée, formatée, n’ayons pas peur des mots, petite bourgeoise parisienne. Et j’aimais ça ! Je suis ressortie du magasin comblée, gorgée de la chaleur et du confort d’un intérieur suédois, il ne manquait plus que Sigfried et Östen à la caisse.
Le soir venu, j’ai décidé de partir m’acheter les sushis dont je rêvais la bave au bord des lèvres depuis des mois. Après avoir repéré sur internet l’un des rares restaurants japonais de la ville et épuisé tout mon forfait à essayer de passer commande au téléphone, je décidai d’y aller à pied. Obstinée qu’on a dit.
Il faisait déjà sombre mais il n’était pas tard et le gardien de l’immeuble me dit qu’il n’y avait pas de danger à sortir de nuit, qu’il fallait malgré tout que je me dépêche.
Inondation à Santo Domingo |
J’avais à peine fait le tour du pâté de maison lorsque la pluie torrentielle qui avait battu l’après-midi reprenait, et c’est dans l’obscurité d’une avenue dont les feux tricolores étaient hors service que j’ai dû marcher près de 15 minutes sur des trottoirs défoncés, en espérant ne pas tomber dans un trou, parfois de l’eau jusqu’à mi mollet, aspergée par les voitures qui me frôlaient et la peur de me faire enlever ou braquer. A plusieurs reprises j’ai manqué de faire demi-tour, à chaque fois je me suis dit que c’était trop bête, que mon bonheur n’était plus qu’à quelques centaines de mètres… J’ai eu l’impression de marcher 3 heures. Je suis restée bloquée une dizaine de minutes sur le terre-plein d’un carrefour inondé, comme sur une île au milieu de l’océan, aveuglée par les phares des voitures qui s’entrecroisaient sans s’arrêter. J’ai pensé à arrêter une voiture, je me suis dit que j’étais dingue, j’ai fini par traverser ce fichu carrefour et marcher sur la plate bande arborée du milieu de la route (plus éclairée et moins inondée que le trottoir d’en face qui était jonché de câbles électriques tombés des pylônes) en espérant que j’arrive jusqu’aux sushis.
Et j’y suis arrivée.
Plateau télé de supra luxe |
Trempée de la tête aux pieds, j’ai demandé un peu amusée à la jeune chinoise qui a pris ma commande si ma péripétie était risquée, je ne vous dirai pas quelle a été sa réaction.
J’ai demandé aux 2 latinos qui étaient venus chercher leur commande en voiture s’ils auraient l’obligeance de bien vouloir me déposer sur leur passage, ils l’ont fait, je me suis retrouvée au coin de ma rue, je suis remontée dans le gigantesque et bel appartement à la déco « suédoise » que l’on m’avait prêté pour le week-end, je me suis séchée, j’ai dégusté mes sushis dans mon gros canapé Kivik avec ses coussins Dvårgpälm devant la télé (que je n’avais pas regardée depuis des mois) et un magnifique arbre de noël dans l’esprit de celui que j’avais vu la veille, j’étais heureuse.
Home sweet home ! |
Je savais depuis longtemps que la 1ère marque d’hypermarchés française s’était aussi implantée à Saint Domingue -il y a plus de 4 000 ressortissants français en République Dominicaine, dont près de 3 000 à Las Terrenas et une petite cinquantaine dans notre petit village de Las Galeras !)-. De la même manière que la veille, j’ai parcouru allée après allée, linéaire après linéaire les marques qui m’étaient familières, retrouvant avec émotion des lentilles vertes, du quinoa, du démaquillant, et, ô extase, des boites de conserve de choucroute, cassoulet, confit de canard, foie gras, confiture Bonne Maman et toutes ces choses qui font que nous, Français, sommes capables de parler de nourriture des heures durant, tout en savourant un délicieux repas.
J’ai aussi découvert qu’il y avait un Hard-Rock Café à Saint Domingue, au dernier étage d’un de ces shopping mall à l’américaine, contrastes insolites entre la vieille zone coloniale, les quartiers populaires, et des magasins soudainement « comme chez nous », refroidis à l’air climatisé et parfumés aux arômes qui vous donnent envie de consommer.
Dimanche j’ai exhaucé mon dernier vœu ; après presque deux ans sans voir un film au cinéma, j’ai trouvé un documentaire qui semblerait me plaire : « Republica del Color », de Hector Manuel Valdez.
Un super documentaire.
J’avais bien choisi la salle d’un centre commercial luxueux. Mieux qu’à Paris ! Énorme salle, écran géant, ce parfum de pop corns tous chauds, sièges inclinables à 40° et sol en pente suffisante pour que même une petite fille comme moi ne soit pas gênée par le grand dadet de devant qui balance sa tête de gauche à droite tout le long du film alors que j’essaye de lire les sous-titres. Probablement trop intello, la salle était quasiment vide ; ici ce sont les comédies, les films d’horreur et d’action qui font le plein.
C’est ainsi que se termina mon « week-end à Santo Domingo » dont je suis revenue boostée à bloc, gardant dans un coin de ma tête qu’à la prochaine crise de mal du pays, je n’aurai qu’à faire 1 heure de guagua et 2h30 de bus…
Hello Olymp
Je viens juste de lire ton dernier post sur le blog et je me suis bien amusé de cette résonance sur Paris et notre système de consommation. Nous venons justement de passer les fêtes avec des amis du sud qui sont venus nous voir et nous n'avons donc pas échappé à la journée Parisienne. Ce fut donc une grande balade au départ de Canal+ qui passa entre autre dans le Parc André Citroën, le Champ de Mars, le Trocadéro, les Champs Elysées et le magnifique magasin Abercrombitch. On a enchainé sur les quartiers chics derrière l'Elysée, le marché st Honnoré et pour finir un tour sur les incontournables bateaux mouches. Je ne résiste donc pas à la tentation de t'envoyer un petit clin d'oeil de la part de la grande dame en fer pour te souhaiter une super année 2016.
Voilà je te fais au nom de toute la famille de grosses bises , à bientôt
Jay
Hello Jay and Family !
Ravie de ce mot et cet instant de rêverie à Paris (quoi que Abercrombitch ne me fasse pas vraiment rêver !!!).
Merci aussi d'avoir partagé cette « carte postale » avec nous.
Je vous dit à très bientôt pour se voir et claquer la bise à la Tour Eiffel par la même occasion.
Je vous souhaite une magnifique année 2016 🙂