⏱ Temps de lecture : 6 minutesSamedi 9 février 2013
Nous arrivons dans l’après-midi au centre de Marrakech. Le riad dans lequel nous avons réservé une chambre est à deux pas de la place Jemaa el-Fna que nous traversons nos sacs sur le dos. Tout comme la première fois que j’avais mis les pieds ici, la vision de cette place animée jour et nuit reste ensorcelante, inoubliable.
Nous gagnons notre « pied-à-terre » aussi vite que possible en nous frayant un chemin entre la foule dense des ruelles de la médina. La vieille ville et les souks sont « piétons », mais en réalité vélos, scooters, ânes tirant des charrues, et autres charrettes transportant toutes sortes de marchandises forment un flot compact et continu dans les ruelles étroites.
C’est une charmante chambre donnant sur un patio où abondent palmiers et orangers qui nous attend. Elle est simple mais déjà, l’atmosphère paisible qui règne dans le riad contraste avec le brouhaha et l’ambiance étourdissante que nous venons de traverser : c’est un havre de paix.
Aussitôt prêts, nous repartons vers la Place Jemaa el-Fna enfin délestés de nos sacs, prêts à affronter la foule et les innombrables sollicitations (pour ne pas dire racolages) qui font la réputation de cette place classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco et dont l’ambiance est difficilement descriptible pour qui n’y a jamais mis les pieds.
Camelots en tous genre, charmeurs de serpents, montreurs de singes, de faucons, musiciens, mendiants encapuchonnés, parfois aveugles ou estropiés tous droits sortis d’une cour des miracles aujourd’hui révolue dans notre « Paris du luxe et de la mode », tatoueuses de henné, vendeurs ambulants aux magnifiques étalages d’oranges parfaitement disposées en pyramides, tout cela et quelques touristes se mélangent au fumet qui commence à embrumer la place sous le soleil couchant.
Nous sommes étourdis par le son des tambours, djembés, flûtes et krabebs traditionnels de la musique gnawa et nous faufilons entre la foule compacte qui vibre au son des vieux berbères, des porteurs d’eau, images d’Épinal vivantes d’un temps où l’on pouvait se désaltérer pour une petite pièce auprès d’un homme accoutré de tasses d’étain qui vous servait quelques gorgées d’eau tirées de sa gourde en peau de chèvre suspendue à son épaule, tel un homme-orchestre, paré de son large chapeau conique.
Je crois qu’il est impossible pour le cerveau humain de mélanger toutes ces odeurs, ces sons, ces images et comprendre la magie qui opère sur cette place sans y avoir goûté au moins une fois.
Après un rapide aperçu de quelques rues du souk, nous nous installons sur la terrasse du fameux Café de France qui offre un panorama exceptionnel du haut de la place, qui maintenant commence sa transformation, au rythme du soleil qui se couche derrière le minaret de la Koutoubia.
Les montreurs et autres camelots qui occupaient la place depuis le matin sont peu à peu remplacés par les restaurants ambulants qui installent leurs étals en un rien de temps et commencent à faire fumer les mets qu’ils vont préparer jusque tard dans la soirée.
Un exquis shake à l’avocat, et -déjà- des centaines de photos plus tard, nous retournons « palper » la place de plus près. L’atmosphère à complètement changé, et c’est maintenant un décor de nuit dont les ampoules à nu scintillent de toutes parts qui nous ouvre sa piste ; en guise d’apéritif, nous nous installons au stand d’un de ces vendeurs ambulants pour y déguster des escargots.
Oubliez un instant nos gros « Bourgogne » baignant dans leur beurre persillé… ceux-ci sont plus petits, beiges et cuisent à feux doux dans une énorme bassine que l’homme arrose continuellement d’un bouillon d’épices à base thym, marjolaine, cumin, réglisse et clou de girofle à l’aide d’une coupelle. Tel un chef d’orchestre juché sur l’estrade de son étal, il hèle les passants pour les inviter à venir s’asseoir.
On les extrait de leur coquille à l’aide d’un cure-dents. Nus comme des vers, leurs petites antennes dressées sur la tête déclenchent une réaction de pitié, rapidement vaincue par la saveur des délicieuses épices qui les ont parfumés. Je regarde le chef rendre la monnaie aux clients de la même main qui, quelques secondes auparavant, servait à remuer les escargots dans leur jus. Ces billets qui sont passés de main en main depuis des années… Ne pas y penser. Espérer que l’eau chaude du bouillon désinfecte tout cela.
Après ce petit apéritif, nous décidons de nous attaquer au plat de résistance. Déambulant entre les stands installés au centre de la place, interpellés par les serveurs qui veulent tous nous asseoir à leur table et nous présentent leurs spécialités, je m’arrête net devant un étal qui me rappelle mon passage au marché dominical de Bac Ha au Vietnam : deux hommes debout face aux clients découpent avec une adresse et une rapidité déconcertantes des têtes de moutons bouillies ; le premier sort la tête du bovidé d’une grosse cuve fumante dans laquelle elle a vraisemblablement mijoté durant des heures, la pose sur la table à découper, et voici que le chef la coupe en deux d’un coup de couteau et d’un geste mécanique parfaitement rodé, lui retire les yeux, retourne la tête, sépare la mâchoire qu’il jette dans un seau derrière lui, retire en quelques fractions de secondes la langue, la cervelle, les joues qu’il place dans une assiette et découpe le tout en petits morceaux amoureusement au son de son hachoir qui fait tac tac tac…
Démonstration… vidéo déconseillée aux âmes sensibles !
On dirait un tour de magie. Je suis hypnotisée, fascinée, par l’habileté et la vitesse avec lesquelles il exécute sa tâche. Je ne peux plus contenir l’eau qui m’est monté à la bouche, je demande une demi-tête, puis demande pardon à la pauvre bestiole en mon for intérieur ; je l’imagine broutant sagement dans la montagne, et passe les minutes suivantes à m’en régaler comme rarement je l’ai fait. Je suis carnivore, je m’en excuse auprès de ceux qui ne comprendront jamais, mais notre terre est ainsi faite, nous nous mangeons les uns les autres, c’est ainsi.
Je crois que cette phrase que me répétait mon père lorsque, petite, je m’horrifiais devant un petit asticot qui sortait de la noix que j’allais avaler ne m’a jamais quittée : « c’est rien, c’est juste un asticot ! mange le, un jour c’est lui qui te mangera »…
Je passerai les 10 jours suivants de notre voyage obsédée par l’idée de retourner à Marrakech pour engloutir à nouveau la machine à penser de l’un de ces petits animaux, place Jemaa el-Fna.
En guise de dessert, ce sera un thé et une sorte de gâteau aux épices concentrées servi à la cuillère dans une coupelle, debout entre les locaux qui semblent prendre beaucoup de plaisir à se retrouver autour de ces étals pour partager un moment de gourmandise.
Fatigués et soucieux de nous lever tôt, nous rejoignons notre Riad caché au milieu de la médina, quelque part au fond de l’une de ces ruelles médiévales qui, la nuit venue, prennent des allures de rues coupe-gorge et que l’on arpente avec méfiance et fascination à la fois.
Sur la terrasse, je reste un long moment à admirer la magie de ce ciel étoilé que je n’avais pas vu depuis trop longtemps…
T'es vraiment une vorace! 😉
Alex.
Je n'avais pas prêté attention à cet article, peut-être parce que je ne connaissais pas du tout cette ville. Le relire maintenant après être passé par la place Jemmaa El-Fna a une autre saveur. En parlant de saveur, nous n'avons pas osé goûter aux fameux escargots… mais d'ailleurs, tu ne nous dit pas si tu a aimé!?
J'adorrreee ces escargots Julie ! je trépignais d'impatience avant de partir rien qu'à l'idée d'en re-manger enfin ! Supers pour l'apéro avant la tête de mouton 😉