THE LOVE CATS

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Ce joli bouquet, dont les fleurs ont éclos cette semaine, cache en réalité la tombe d’un chat. De MON chat. Je ne lui avais pas donné de nom, et d’ailleurs ce n’était pas « mon » chat, c’est moi qui était « sienne ».


Lorsque l’hiver dernier j’ai visité la maison que j’habite pour quelques mois à Las Galeras, une maman avait mis bas de deux chatons qui à l’époque, la tétaient encore. Lorsque j’ai emménagé mi-avril, les deux chatons étaient devenus deux jeunes adolescents, et dès les premiers jours je prenais plaisir à regarder ces deux frère et sœur dormir ensemble, manger ensemble, jouer ensemble.

La femelle était soumise et timide face à son frère au caractère trempé. Lorsque je leur donnais à manger, le mâle s’accaparait toute la nourriture, grondant en même temps qu’il s’empiffrait, capable de ne pas laisser une miette à sa sœur. A l’inverse d’elle, il n’était pas farouche, oh non, miaulait sans cesse pour réclamer de la nourriture, s’en était du harcèlement moral lorsque à peine levée je le voyais mendiant derrière les carreaux. Néanmoins, il avait su gagner mon affection. Il n’avait peur de rien, se laissait caresser ou chahuter en toute confiance. Son jeu favori consistait à se laisser glisser le long de mon tibia, l’utilisant ma jambe comme un toboggan et atterrissant en boule à mes pieds. Je n’avais jamais vu un chat faire ça, c’était attachant au possible.

A ces deux chats, ni aux autres qui quelques semaines plus tard prirent possession de ma maison, je n’ai donné de nom. Enfant, mon père nous avait offert un siamois qui m’accompagnait de mes 6 ans jusqu’à mes 25 ans. Je l’aimais par dessus tout. Il me suivait partout, et restait des heures assis sur la table du salon, la tête calée à quelques centimètres de l’ampoule qui éclairait mes devoirs d’école, de collège, de lycée et plus tard d’université. Je me disais toujours qu’il allait finir par avoir
le cerveau cuit comme un steak. Lorsque j’étais assise sur le canapé, il était bien entendu rivé sur mes cuisses, je pouvais même me lever et traverser l’appartement sans qu’il ne se décolle. Si j’allais au petit coin, il me suivait, et s’asseyait face à la porte fermée, me tournant le dos pour respecter mon intimité.
Au fil des années, il s’était habitué à dormir avec moi, et uniquement moi. Nous avions un rituel : au moment où j’entrais dans mon lit, je tapais deux fois sur les couvertures, et il apparaissait quelques secondes plus tard, sautait sur le lit dont je soulevais alors les draps pour le laisser passer par dessous. Il allait jusqu’à mes pieds et faisait demi-tour pour venir s’allonger… la tête sur l’oreiller, me ronronnant dans l’oreille, ses petites pattes autour de mon cou. C’est ainsi que je dormis avec mon chat jusqu’à ses 19 ans, lorsque je le fis piquer dans mes bras pour abréger son agonie. J’ai toujours pensé que je en m’en remettrais jamais, mais il avait vécu sa -belle- vie, je fus très triste mais je réussis à me résigner.


Alors, je n’ai plus jamais voulu avoir de chat. Libérée de ma servitude, je pouvais désormais voyager quand bon me semblait sans avoir à me soucier de qui garderait ou nourrirait le félin.

De la même façon, donner un nom à un chat reviendrait aujourd’hui me l’approprier, m’y attacher et ne plus être libre de mes pérégrinations improvisées.
Les chats de la maisonC’est ainsi que je voyais ces deux frère et sœur grandir au fil des jours, jusqu’à ce que je vois un mâle venir rôder autour de la maison. Pendant plusieurs jours je le voyais attraper le jeune par le cou et le bloquer à terre, sans réelle agressivité. Puis je remarquai que le jeune avait le cou un peu déplumé, qu’il se grattait souvent. J’ai pensé à la gale, je me suis dit qu’il allait contaminer sa sœur puis tous les chats du quartier. J’ai bien mis deux semaines à réagir, après que l’on m’ait dit qu’il suffisait d’aller chez l’agrovétérinario du coin, qui me donnerait une piqûre qui réglerait cela vite fait bien fait. Le vendredi je passai donc chez l’agrovétérinario (un petit magasin qui vend des produits pour les animaux, bœufs, vaches, poules, cochons…). J’expliquai le cas au vendeur, lui donnait le poids du chat et son âge approximatif, et quelques minutes plus tard je repartais avec ma seringue prête à l’emploi que je tenais bien droite sur la moto qui me ramenait jusqu’à la maison.
Consciente que le chat ne se laisserait jamais attraper sitôt la seringue en vue, me préparais à une lutte et me protégeais des possibles griffures avec des gants de vaisselle et une serviette de bain épaisse sur les jambes, avant d’attraper le « galeux ». 
Au comble de ma surprise, je n’eus qu’à le saisir doucement et le poser sur mes genoux ; il ne manifestât aucune mais alors aucune retenue et se mis même à ronronner doucement sur mes genoux pendant que je le caressais avant de lui saisir la peau du cou et de lui administrer en toute douceur la dose qui devrait le soigner de tous parasites.
Il se laissa faire et je réussis même à le repiquer une deuxième fois pour lui administrer la dernière goutte qui était restée au fond de la seringue. J’étais épatée par la confiance aveugle qu’il me portait, il n’opposa aucune résistance, ne broncha pas, bien qu’il repartit doucement la tête un peu tordue se demandant ce qui le gênait dans le cou. « Voilà une bonne chose de faite ! » Pensai-je, regrettant d’avoir attendu deux semaines pour agir, puis je partis me préparer pour sortir. 
La soirée fût arrosée, et je rentrais vers minuit, je dois l’avouer, pas tout à fait sobre. Le chat était là, se leva en me voyant arriver, et tituba. Je le trouvais bizarre, je le fis marcher et m’aperçus qu’il était comme saoul, désorienté et titubant. Je compris immédiatement que l’injection devait contenir un produit antisthamnique produisant cet effet. 

Je ne manquais pas de me moquer de lui, le bousculant gentiment pour voir comme il marchait de travers, puis je partis me coucher en pensant que deux à trois heures plus tard il aurait récupéré sa forme et ne manquerait pas de miauler à la porte vitrée dès le lendemain matin, comme tous les jours.

Au réveil, je fus surprise de ne pas le voir. Je sortis, regardais de chaque côté de la terrasse, et l’aperçus dormant de tout son long sur le bord droit de la terrasse. Quelques minutes plus tard, revenant m’asseoir pour prendre mon petit déjeuner sur la terrasse et ne le voyant plus, je m’approchais de l’endroit où je l’avais vu dormir quelques minutes plus tôt, et le trouvais quelques centimètres plus bas, les yeux ouvert, la langue sortie, tremblant, convulsant. Vision d’horreur. Je comprends alors que ça ne va pas, ça ne va pas du tout.
Panique, je le saisis doucement et le place sur le canapé. Il est immobile, figé, comme en état de choc, les yeux fixes dans le vide, et toujours la langue dehors. Je lui souffle dans l’œil, il cligne de la paupière, je vois qu’il respire. Je pars en furie chez l’agroveterinario le plus proche, lui demander le nom du produit qu’on m’a donné et vérifier de la dose que je lui ai administré. Dans le magasin, je prends le flacon en photo, puis je rentre à toute vitesse enquêter sur internet. Je retrouve les symptômes d’empoisonnement, j’appelle un vétérinaire que j’ai rencontré quelques jours auparavant. Son diagnostic est pessimiste : il n’y a pas d’antidote, le produit met jusqu’à 72 heures pour être éliminé, la seule chose qu’il puisse faire c’est de mettre le félin sous perfusion pour accélérer l’élimination du poison. Mais le vétérinaire habite dans les hauteurs de Las Galeras, à une demi-heure de chez moi, je n’ai pas de véhicule et il va probablement me demander une fortune pour ses actes. Je prends la décision d’attendre. Le chat est mal en point, deux heures sont passées, il respire toujours mais n’a pas bougé d’un poil. Il est comme mort. Je voudrais croire qu’il est en état de choc, et que dans quelques heures il va se réveiller doucement.
Mais les heures passent, et rien en se passe. Rien. Figé, toujours figé, les yeux dans le vide, la langue dehors… je lui mets des gouttes dans les yeux, lui humidifie la langue, il respire doucement mais n’a aucune réaction. Il est probablement dans le coma. Trente-six heures. Ce seront trente six heures qui passeront ainsi, sans que rien ne change. A bout de force et d’espoir, j’apprends que le dimanche matin le vétérinaire doit visiter mes voisins, je pars le chercher et lui demande de venir jusqu’à chez moi. Lorsqu’il voit le chat, il me dit que la situation est très grave, que la seule chose qu’on pourrait faire c’est l’emmener dans une clinique vétérinaire (à une heure de Las Galeras) pour le mettre sous perfusion et oxygène. Il me demande quelle est la dose que je lui ai administrée, je lui montre la seringue que m’a donné l’agrovétérinario en posant mon ongle sur la petite barre de graduation qui indique 0.5 mml.

Il me regarde et rend la sentence :  pour un chat de ce poids, c’est 0,05 mml qu’il fallait injecter, pas dix fois la dose. 

C’est horrible. Et sa façon de me demander pourquoi je ne le lui ai pas emmené l’avant veille lorsque je l’avais eu au téléphone me condamne irrémédiablement en criminelle, je fonds en larmes de culpabilité, de tristesse, d’effroi. Il doit partir, je prends mon courage à deux mains et je le supplie de le piquer. Je sais qu’il n’y a plus rien à faire, il faut abréger sa souffrance pour peu qu’il sente encore quelque chose.

J’embrasse le chat, je pose ma tête sur son petit corps en pleurant, puis le vétérinaire lui administre la dose qui va l’endormir définitivement avant de repartir.

Je suis effondrée.

Mon amie en visite depuis 10 jours est partie ce matin même, elle a assisté aux 36 dernières heures, heureusement elle n’a pas eu à voir cette scène.
Je cherche une serviette épaisse, je l’enveloppe délicatement dedans.
Je sors chercher une pioche dans le cabanon, une autre amie passe au même moment, celle-là même qui était présente il y a 10 jours, lorsqu’un habitant du village est mort d’une crise d’asthme dans les bras du petit copain d’Anne-Lise. Il avait 54 ans. Nous sommes encore tous sous le choc.
Elle ne veut pas voir le chat mais accepte de m’aider à creuser. La situation est tellement glauque que nous éclatons de rire en creusant dans la terre à coups de pioche.

« Ah si seulement on avait imaginé se retrouver là toutes les deux, à creuser une tombe dans mon jardin un jour… ». 

Puis elle repart, me laissant faire ma cérémonie seule.

J’enterre délicatement le chat, et au moment où je le recouvre de terre je réalise que le trou n’est vraiment pas assez profond, il n’y aura même pas 10 cm de terre pour le recouvrir, et je n’ose pas imaginer ce qu’il va se passer d’ici 2-3 jours, lorsque la terre aura chauffé sous les 35-36°C que nous avons au quotidien, accompagnés d’un taux d’humidité de 85 à 90%…
Je n’ai pas le courage de le déterrer et recommencer, je suis accablée. Tant pis on verra bien.
Je rajoute quelques grosses pierres dessus, puis je vais chercher le petit sachet de graines de fleurs qui traînait chez moi à Paris depuis des années et que j’ai rapporté de mon dernier voyage.
Je dissémine les graines sur la tombe et entre les pierres.
Sa sœur passe par là au même moment, elle s’approche de la tombe, renifle, puis s’accroupit pour faire pipi dessus. J’éclate de rire dans un sanglot. Je ne sais pas comment interpréter ce geste, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’elle se fiche éperdument du décès de son frère, peut-être même qu’elle lui pisse dessus pour se venger de toutes les fois où il en la laissait pas s’approcher de la gamelle, se goinfrant égoïstement de ce que je venais de leur servir.
Voilà, c’était le 5 juin dernier, et en cette première semaine de septembre les plantes qui ont poussé sur sa tombe ont fleuri de jolis boutons rouges

Il me manque toujours, sacré matou.

J’ai mis plus de 15 jours pour réussir à retourner au magasin, dire à cet idiot qu’il avait tué mon chat. Si j’y étais allée avant, je crois que j’aurai saisi une de ses seringues et je lui aurais vidé le flacon d’antiparasite dans une fesse. Mais le vendeur n’était pas là, je lui ai lui ai dit tout ce que je pensais de son collègue, et je suis repartie la mort dans l’âme, le mal était fait.

Quelques jours avant ce triste épisode, une mère et ses deux chatons étaient venus investir la propriété, je les vois grandir depuis le mois de mai, un frère et une sœur. Le frère est peureux, craintif, il a gardé sa tête de bébé, tandis que la sœur est -depuis le début- aventurière, téméraire, audacieuse, curieuse, qu’elle a appris à miauler dès ses 3 mois pour venir réclamer de la nourriture de son petit cri qui ressemble à un grincement de porte.
Les frangins ont tété leur pauvre mère soumise et dévouée jusqu’à leurs six mois sans vergogne, lui aspirant les tétines qu’ils malaxaient de leurs petites pattes jusqu’à plus soif.

Une semaine après que j’ai enterré le chat, c’est une autre figure de Las Galeras qui est décédé d’une crise cardiaque le matin de son anniversaire. On m’a appelée de la clinique en panique pour savoir si je savais faire un massage cardiaque. Plus de 10 ans de formation annuelle en secourisme, j’ai hésité une seconde, puis je suis partie en trombe, courant haletante dans la rue vêtue de la robe panthère sexy que j’avais achetée à Ho Chi Minh et que je porte parfois à la maison, mes lunettes de bigleuse sur les yeux (le complexe de toute une vie, dépassé par l’apparition des lentilles de contact à mes 12 ans), me remémorant les gestes que j’avais répétés sur un mannequin jusqu’à ce que je trouve un moto-concho qui m’emmène jusqu’à la clinique à 800 mètres de là. J’étais essoufflée, on me fit entrer dans la salle aux vitres teintées sans autre précaution, on me mit des gants de latex et je n’eus pas le temps de penser à ce qui se passait. La jeune docteur de garde et moi-même avons massé le corps sans vie de cet homme pendant près de 40 minutes. Nous savions qu’il n’était plus là, mais il fallait tout faire, tout essayer, ne serait-ce que par respect de sa compagne de 25 années qui était dans la pièce d’à côté, en état de choc et incapable de recevoir la nouvelle si brutalement. La situation était surréaliste ; à peine la mort déclarée, le croque-mort était là pour emmener sa dépouille jusqu’à la capitale. Ici en République Dominicaine, il y a une procédure très stricte à suivre dans le cas de décès d’un étranger. Une autopsie est obligatoire, on n’a pas de chambre froide ni de morgue dans le village, il faut faire vite et il faut payer, en deux heures tout est terminé, bouclé.
Ici, le rapport à la mort est tellement différent de ce qui se passe dans nos pays riches, développés, aseptisés

Ici on côtoie la mort comme on côtoies la vie. 

Certains naissent, d’autres disparaissent. Les accidents, la maladie, rien n’étonne ; on raconte qu’un tel est mort hier comme on dirait qu’on est allé chercher du pain. Bien entendu, il y a les proches, la famille pour qui c’est un drame, une tragédie, mais la mort est beaucoup plus fréquente, plus présente, plus brute, souvent plus violente.

Qu’on l’accepte ou pas, c’est inévitablement encore une différence culturelle à laquelle il faut s’adapter. C’est encore un degré d’ouverture d’esprit qu’il faut intégrer, finalement, c’est peut-être plus humain comme cela ?



Le village de Las Galeras a reçu en donation une ambulance totalement équipée au mois de septembre 2017. Les mauvaises langues se demandent s’il y aura de l’essence pour transporter les malades jusqu’à l’hôpital le plus proche, à 30 kilomètres de là…

0 réflexion sur “THE LOVE CATS”

  1. bonjour Olympia! très touchée par ton article sur la vie et la mort de tes chats! ta conclusion est particulièrement juste et c'est une chance de vivre dans ce pays pour que nos esprits s'ouvrent et surtout qu'ils trouvent le chemin du respect pour l'autre et celui de la compassion envers toutes les créatures y compris les animaux! merci pour ton blog il est magnifique! si tu as le temps tu peux « monter » sur ma colline pour me rendre visite ; ce sera un réel plaisir de faire plus ample connaissance
    Yvette (amie d'Anne-Marie et Gérard)

  2. bonjour Olympia! très touchée par ton article sur la vie et la mort de tes chats! ta conclusion est particulièrement juste et c'est une chance de vivre dans ce pays pour que nos esprits s'ouvrent et surtout qu'ils trouvent le chemin du respect pour l'autre et celui de la compassion envers toutes les créatures y compris les animaux! merci pour ton blog il est magnifique! si tu as le temps tu peux \ »monter\ » sur ma colline pour me rendre visite ; ce sera un réel plaisir de faire plus ample connaissanceYvette (amie d'Anne-Marie et Gérard)

  3. Merci pour ton commentaire Yvette !
    Je suis flattée que tu apprécies mon blog, les mois défilent et je pense régulièrement à monter te voir, je vais définitivement le faire ces jours cis 😉

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